D comme déguisement

Le jour de mon mariage je ne voulais surtout pas être déguisée.

Pas de robe meringue donc avec cinq épaisseurs de tulle ni de chignon bien laqué et plaqué.

Et je ne l’ai pas regretté. 

J’ai toujours cru bien maitriser les règles de bienséance, notamment les codes vestimentaires.

Je pensais savoir ajuster mes tenues en fonction de situations différentes comme Cristina Cordula : telle tenue pour un mariage, un entretien, un pic-nique entre amis, un rendez-vous réseau, la première fois chez belle maman…

Je pensais vraiment maitriser tous ces codes jusqu’à ce fameux rendez-vous. 

Ce jour où j’ai eu l’immense, l’extrême honneur de rencontrer ces deux hommes,  consultants dans un prestigieux cabinet de conseil à deux pas des Champs Elysées.

Deux quadra en costume trois pièces et Berlutti aux pieds, bloc-notes et Montblanc à la main.

En les voyant arriver – l’un petit et l’autre grand, très grand genre Laurel et Hardy – je devine la confusion. Un rendez-vous avait en effet été pris avec l’un d’entre eux et le ton devait me semble t-il être informel. Je l’avais sollicité pour avoir un rendez-vous réseau comme on dit pour avoir des conseils sur le secteurs de la communication et du conseil.

Que les choses soient claires : ce rendez-vous n’était absolument pas un entretien d’embauche (d’ailleurs, je ne lui avais pas, volontairement, adressé mon CV). Ce devait être une prise de contact, pour élargir mon réseau.

Pour autant, je n’y suis pas allée en jogging ni en pantalon chino (les fashionista reconnaitront). J’ai bien sur porté un grand soin à ma tenue en empruntant les codes appropriés à ce type de rencontre : « Ma chérrrrriiiie, tu devras être classe, chic ourbaine mais oublies la veste blaser des années 80 » disait la Christina qui (je croyais) était en moi.

C’est donc en talons (Mellow Yellow) que je vais à ce foutu rendez-vous.

En talons donc et pantalon couleur jean brut avec le pli devant bien repassé, chemise slim violette à pois bleus (Gap) bien rentrée à l’intérieur, et manteau bleu marine (Kookaï).

Côté accessoire, j’ai opté pour un sac ultra chic (Chloé) … Oui la chômeuse a des goûts de luxe ! Une tenue soignée donc avec des marques tendance réputées pour leur élégance. Je n’ai pas tapé chez Morgan ni Jenyfer !

Pour la mise en beauté, le maquillage me semblait conforme à ce genre de rendez-vous : un teint clair et uniforme en évitant bien sur l’écueil orange façon uv++, mascara sur les cils, un fard à paupière accordé à la couleur de mes yeux, un blush discret et un rouge à lèvres lui aussi discret pour valoriser le regard … Bref rien n’est laissé au hasard. Je pensais justement envoyer de bons signaux : je soigne parfaitement mon allure mais voyez-vous je sais que ce rendez-vous n’est pas un entretien, voyez comme je maitrise les codes ! 

1h30 de testostérone plus tard et de « Moi-Je » (« et j’ai bossé dans tel cabinet ministériel », « et moi j’ai conseillé tel ministre » « je connais très bien le Dir cab de Fleur Pellerin». J’ai même cru un bref instant qu’ils allaient me parler de leur grosse … voiture), les deux pingouins m’expliquent la force et la noblesse du conseil, du lobbying, et les difficultés liées à ce métier. « Le conseil ce n’est pas la com ; c’est autre chose. Il faut être capable de mettre certains idéaux de côté pour défendre certains groupes » (un peu plus et ils se comparaient à des légionnaires).

«Seriez-vous prête, par exemple, à défendre l’industrie pharmaceutique ou celle de l’armement » me demande l’un des deux légionnaires en Berlutti. « Bien sur » lui dis-je, prête à tout pour maintenir le contact, élargir le réseau. J’envoie même un commentaire qui critique mes paires « Oh, vous savez le journalisme c’est aussi très souvent du lobbying » (ce qui n’est pas faux). A ce moment là je franchis un cap. A ce moment là je travestis mes opinions, je deviens un caméléon, je m’adapte … Certains pourraient même dire que je deviens opportuniste.

Je pensais avoir la tenue adéquate, le discours conforme, adapté à ce type de rendez-vous. J’ai su écouter, j’ai su réagir, j’ai su travestir mes opinions. Et pourtant ce fut insuffisant.

Pour eux, je n’étais pas assez déguisée. En conclusion du rendez-vous, le grand pingouin tel un ami qui me veut du bien me donne ce qu’il considère être un précieux conseil :

« Vous savez Anna (l’air un peu gêné) il faut quand même qu’on vous donne les clés : le conseil et même la communication (secteur plus méprisant à leurs yeux) sont des secteurs contre intuitifs, comprenez par là qu’il y a certains codes vestimentaires à maitriser (…) c’est comme ça. Nous par exemple on n’a pas forcément envie d’être en cravate tous les jours mais on le fait quand même ». 

De quoi me parle-t-il ? De qui me parle-t-il ? De moi ?!

J’encaisse. Une partie de mon cerveau continue à donner le change (les règles de bienséances, encore et toujours).

J’en ai beaucoup entendu depuis ces longs mois de chômage sur mon parcours: les trous dans mon CV (enfin mes grossesses) ma supposée hésitation entre la télé, la presse, le web mais jamais rien sur ma tenue ni mon style. C’est donc une première.

Je comprends très vite que mon pantalon couleur jean brut avec pli parfaitement repassé a fait écran à tout ce que j’avais pu dire de pertinent ou pas.

Je rentre chez moi dépitée, une fois de plus, mais surtout profondément vexée.

J’ôte ce pantalon qui m’a visiblement porté préjudice.

Je me démaquille, le mascara avait déjà coulé dans le métro (la colère et l’humiliation probablement).

En me regardant dans le miroir, je me promets comme pour ma robe de mariée de ne jamais céder au déguisement. Je ne déguiserai plus mes propos non plus.

Quand on se déguise, un jour ou l’autre, le masque tombe toujours !

9 réflexions sur “D comme déguisement

  1. paul dit :

    ben oui : ils portent l’uniforme des cons, parce qu’ils ont intégré totalement l’idéologie en question.

    quand ils vous ont demandé si vous étiez prête à défendre l’industrie pharmaceutique ou l’armement, c’est parce que la première chose qu’ils ont vu, c’est que vous ne portiez pas l’uniforme des gens qui défendent ça. et tout ce qui va avec et qui fait du fric.

    à quoi croyez vous que servait le service militaire ?
    ben à faire intégrer aux zhoms l’idéologie du mâle et son uniforme à commencer par les cheveux courts.
    maintenant, ils ont trouvé plus astucieux : les jeux du cirque, et les brutes épaisses qui se rasent le crâne, consomment de la prostitution, roulent en grosses cylindrées, en portent les uniformes sociaux y compris à la maison.

    quand ils vous disent ne pas avoir envie de porter la cravate tous les jours, c’est faux, à ceci près, que d’une part le costard et la cravate sont l’armure qui fait et fonde leur identité mâle, et que d’autre part, les autres tenues sont elles aussi des uniformes exprimant l’intégration de standards pour chaque activité chaque lieux qui sont tous publiques, y compris dans l’intimité.

    • Porter ou non l’uniforme telle est la question ? Ceci dit je pense que nous portons tous, plus ou moins des uniformes, là n’est même pas la question.
      Ce qui est le plus fou avec cette anecdote c’est que justement je pensais, et je pense encore, porter les bons codes appropriés à la situation, mais même ça n’était pas suffisant à leurs yeux.

      • paul dit :

        dans la tête de ces gens là, la question c’est, est-ce que l’autre porte, c’est à dire, incarne, l’uniforme.
        dans la votre, c’est autre chose.
        dans la tête de ces gens la, la seule « compétence » de valeur, c’est l’incarnation donc le port de l’uniforme.
        l’uniforme, c’est le modèle, le standard, intériorisé et qui fait que son expression apparente est naturelle au porteur ou à la porteuse.

      • Bonjour
        Votre billet est saisissant. Et votre commentaire ajoute à sa pertinence. En effet le problème n’est pas l’acceptation de l’uniforme, mais la capacité à l’adopter, autrement dit l’appropriation d’un certain nombre de marqueurs parfois extrêmement subtils. D’ailleurs nous nous autorisons tous, je pense, à plaquer sur des observations parfois ténues, des étiquettes souvent indélébiles. c’est même le ressort de bien des films ou sketches comiques, « La vie est un long fleuve tranquille » par exemple.
        Mais de la part de professionnels, on s’attend à plus de
        Pour aller dans votre sens, sur un blog plutôt destiné aux recruteurs, le blogueur a cru bon de demander à ses lecteurs de raconter des erreurs amusantes commises par des candidats. Bonne âmes s’abstenir, mais il y a un extrait spécialement édifiant, selon moi. le voici :
        « j’ai reçu il y a pas longtemps une candidature avec en PJ un courrier intitulé “Les 10 bonnes raisons de m’embaucher en stage”, en lieu et place d’une LM.

        Cela aurait pu être sympa et différeciant mais les 10 points n’étaient pas pertinents et surtout la liste était écrite en COMIC SANS. Comment prendre cette candidature au sérieux ?! »

        Sans commentaires.

      • merci pour votre retour
        L’anecdote que vous rapportez est intéressante. En effet la question n’est pas l’uniforme comme vous le dites la capacité à s’adapter.
        J’espère a bientôt sur le blog. C’est toujours un plaisir de partager les commentaires avec les lecteurs !

  2. Analyse d’analyste: dès le départ, ils n’avaient pas l’intention de t’aider. Ils t’ont abreuvé de leurs grosse… réthorique et leur signes extérieurs de richesse pour t’intimider et s’offrir du divertissement. Et accessoirement voir comment tu peux leur servir.

    La question « défendre l’industrie pharmaceutique ou l’armement » en pensant que tu n’avais jamais considéré cette possibilité dans ta tendresse femelle, est tellement cliché que ça en devient ridicule. Je ne vois même pas comment ils ont osé. (« Ah non moi je veux travailler que pour le commerce équitable bisounours au Costa Rica, sinon, je veux pas travailler! »)

    On en connait plein des comme ça dans le monde du craïme, (qui travaillent pour les assurances). Le but est de t’en mettre plein la vue en voyant quelles infos ils peuvent tirer de toi pour leur clients.

    /ignore les. Tu fais ce qu’il faut, un jour tu tombera sur qqn de moins connard qui ne sera pas là pour passer une heure déjeuner à se distraire à tes dépends.

    • oui après coup je suis rentrée en colère non pas parce que je n’avais pas mis la bonne jupe droite fendue derrière … Non ! J’étais en colère car je ne leur avais pas répondu « je vous laisse l’uniforme car je n’en veux pas  » C’est du passé mais j’hésite à leur envoyer ce billet. Même pas sure qu’ils se reconnaissent !

      • Ouép, et encore une fois, ne pense plus à ta tenue (que je trouve parfaite d’ailleurs). Je pense réellement que la décision était prise bien avant la rencontre. Je connais une cadorE de l’industrie pharmaceutique (Merck) et elle n’a jamais quitté son jean..

  3. Infinity Lo' dit :

    Un monde de pingouins comme tu le dis, laissons les sur leur banquise où l’égoïsme, la bêtise et l’opportunisme règnent !

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