B comme Blacklisté(e)

La grande famille de la télé serait–elle plus redoutable que celle des Ewing ? Doit-on résister ou bien dénoncer la perversion de certains gourous cathodiques ?

Je n’ai pas de réponse, simplement un vécu un peu douloureux mais qui me donne envie aujourd’hui d’en rire !

« Résister quoi qu’il se passe et savoir s’adapter quelque soit la situation : c’est la principale qualité d’une journaliste tv» me murmure un soir de fin de saison un responsable des programmes d’une chaine nationale, celle qui privilégie le savoir, une coupe de champagne à la main, une cigarette électronique dans l’autre… Pas de reproche, juste le conseil d’un ami qui me veut du bien, précise-t-il. « Il ne fallait pas craquer (…) songez-y à l’avenir »
Songer à quoi ? A serrer les dents ? 
En cas de pression, de surcharge de travail ? Bien sur.
En cas d’actu chaude, comme on dit ? Evidemment. 
En cas de harcèlement ? Certainement pas !

Travailler avec une star du PAF ça force le respect et l’admiration. Mon côté « old school » sans doute… Le respect de l’aîné m’empêche de broncher, jamais d’irrévérence même si le sens de la répartie qui me caractérise pourrait bien clouer le bec du boss…
Alors on écoute, et on écoute tous les jours les remontrances supposées fondées et donc légitimes. Après tout c’est lui le pro, le Grand de la télé, de l’info, du verbe, du direct, c’est lui qui sait tout, sur tout et tout le monde… On fait le dos rond, persuadé que l’apprentissage se fait forcément dans la douleur, quitte à se faire harceler.
Mais être harcelé(e) moralement ça ne veut rien dire. C’est subjectif comme concept me direz-vous! C’est un peu comme le harcèlement sexuel, difficile à prouver ! Après tout est harcelé qui veut bien l’être ! N’est-ce pas ?
Peu importe, un jour on craque et on dit stop.
Malheur ! ”Ne jamais laisser ta chaise vide » me dit-on,tu risquerais ensuite d’être blacklistée par la chaine, le groupe, la profession toute entière, et pourquoi pas par CNN et peut être même Al Jazeera !! « une-mauvaise-réputation-peut-être-fa-ta-le !!! » me martèle-t-on. 
Je n’entends rien. Je ne cherche qu’une chose : me protéger.

Tant pis pour ma carrière à la télé ! J’accepte de porter mon nez rouge quitte à devoir peut-être renoncer à ce métier : celui qui consiste à décrypter, relayer, analyser et commenter le monde qui m’entoure.

Des mois de chômage et quelques vrais-faux entretiens plus tard, (cf E comme entretien) je mesure les conséquences de mon geste. 
Peut être avaient-ils raison ? J’aurais dû résister, accepter et continuer à me faire humilier. J’y serais sans doute encore à la télé.
Pourquoi ai-je craqué ? J’aurais pu faire une petite chronique, de deux petites minutes, sur une petite chaîne du câble, du moment qu’on voyait ma trombine dans la lucarne.
Au lieu de ça, je suis à Pôle emploi et blacklistée de surcroît !
Mais qu’ai-je donc fait pour mériter un tel sort ? 
– Je n’ai poussé personne dans les escaliers,
– Je n’ai jamais fait péter mon décolleté (j’aurais peut-être dû),
– Je n’ai pas eu l’occasion de refuser de relations sexuelles  avec un dirigeant de la chaine (j’aurais peut-être dû aussi),
– Je n’ai pas twitté de commentaires délicats sur la chaîne, ni sur la prod, encore moins sur le programme (déjà critiqué en interne),
– Je n’ai pris aucun jour de congé pour garder l’un de mes enfants malades, 
– J’estime même que dans les conditions qui étaient les miennes, j’ai parfaitement fait mon travail.
C’est pourtant ainsi : je suis blacklistée car j’ai osé remettre en cause les agissements d’un pervers narcissique et ceux de son acolyte. 
Erreur ? D’un point de vue stratégique, c’est même une énorme erreur !

Et puis après tout on se dit que ça arrive aux plus grands, c’est peut-être même un passage obligé. Une petite traversée du désert, ça forge le caractère… Rappelez-vous Patrick Sabatier, Dorothée, Chantal Goya et même Paul Amar, ont été un temps blacklistés.

Je ne ferai sans doute plus “de télé” comme on dit. 
C’est vraiment dommage. 
Difficile à digérer … 
Y retourner ? Pourquoi pas, mais à deux conditions :
– y prendre du plaisir
– et ne plus jamais serrer les dents pour être reconduite, coûte que coûte, en septembre.
Si non tant pis … Je trouverai bien des idées de reconversion (cf I comme idées).