J comme Jessie

Jessie

Dans Toys Story les héros sont des jouets. Des jouets qui s’animent dès que leur propriétaire leur tourne le dos. Au delà du film d’animation très bien réussi, beaucoup y ont vu de nombreux messages, parfois même subliminaux.

Je n’y ai vu qu’une métaphore, celle de l’éternité : les jouets doivent-ils être usés, cassés, donnés, voire même oubliés, ou bien, doivent-t-ils perdurer et trôner sur des armoires comme le sont les cadres des défunts êtres aimés.  Doit-on vivre, essayer, tenter, tomber et se relever, ou se protéger en ne tentant rien. Et attendre.

Vivre me direz-vous ! Bien sur. Qui n’est pas requinqué à la lecture de ses devises positives mais si naïves partagées sur les réseaux « ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient »  ou encore « ceux qui n’ont pas essayé ne tombent jamais » sans oublier la célèbre formule : « après tout qu’as-tu  à perdre ? » Rien, en effet. Si ce n’est la fine, très fine couche d’estime qui me permet encore de tenir. Mais sinon pas grand chose à perdre.

Oser proposer, imaginer, créer même quand on est un peu à côté.

Un jour je décide de me jeter à l’eau en parlant d’un vague projet à un ami. Et c’est ainsi que le miracle arriva. Je revois donc cet ami, un ex collègue, et à cette occasion il me parle d’un « plan ». Le 100ème me dis –je. Il semble sérieux et me demande même mon cv. Mon CV …. Ce papier que j’avais tant froissé, tellement corrigé et que je ne voulais plus brandir. Ce papier, je voulais même le bruler.

Cet ami ne devine pas à quel point je suis lasse. A quel point, je la connais cette chanson. Pourtant, cette fois la partition allait être différente et concrète. Rapidement, promptement concrète. Cette fois on m’avait bien rappelée pour fixer un rdv qui s’est avéré être un vrai entretien. (CF E comme https://annaploime.wordpress.com/2014/04/10/e-comme-entretien/) puis on m’avait choisie. Le scénario idéal est devenu soudain réalité.

En 24 heures cet ami, appelons-le Woody, me propulse dans l’autre monde : celui des gens qui n’ont-plus-le temps, qui courent, font-deux-journées-en-une, ne profitent pas assez de leurs enfants qui grandissent trop vite, qui ne s’occupent pas assez de leur couple… le vrai monde, celui de ceux qui travaillent !

En 24 heures je bascule.

24 heures, à peine, pour déprogrammer les mois d’introspection et de rumination.

24 heures pour se mettre en mode ON.

En 24 heures, Woody m’a extirpée de ma torpeur, telle Jessie prostrée dans son carton dans l’attente d’être mise sous cloche dans un musée.

Face à lui je suis comme elle : surexcitée et débordante d’énergie, du moins à l’intérieur.

Ce jour de rentrée, je l’ai tellement attendu et fantasmé. Ce jour là, je n’ai pas encore de collègue mais je sais déjà qu’une amie m’attend, fidèle et peu bavarde, elle m’a tellement manquée : la machine à café.

Avec elle pas de « frapuccino moka-gingembre » (Cf S comme Starbucks) à 5 euros, ceux à la saveur originale mais avec l’arrière goût du chômage, mais un espresso aigre à 30 ct qui a le goût de la reprise ! Ces cafés, je les avale, je m’enivre de leurs odeurs, le bruit des pièces de monnaie et des gobelets composent même de douces mélodies, et je m’enveloppe dans ces attroupements matinaux formés par les « collègues ».  Que c’est bon … Ces échanges anodins, même les « ça va comme un lundi » me réchauffent, me remplissent, car moi ces lundis je les aime, et j’aime plus encore ces dimanches soirs pourtant d’ordinaire si anxiogènes.

Je jubile telle une petite fille surexcitée après l’ouverture de ses cadeaux de Noël. Je jubile comme Jessy qui découvre Woddy et avec lui l’espoir de retrouver, pour toujours, la lumière.

Comme elle je me sens vivre ; je ne veux pas retourner dans le noir, dans ma boite, vers un quelconque musée, celui des mères au foyer, des épouses parfaites. Je veux rester dans ce monde là, quitte à m’attacher comme des militants anti IVG à cette machine à café, quitte à installer ma tente Quechua dans l’open space comme les « Enfants de Don Quichote »  …

Je revis. Mon plaisir est un peu gâché par une angoisse : celle que tout s’arrête.  J’ai peur que cette pige ne soit qu’une parenthèse dans ma longue et périlleuse quête d’emploi. Je crains que le destin soit même vicieux : me faire de nouveau goûter aux plaisirs du travail, le mien celui que j’aime, pour très vite me l’ôter. Pendant la première semaine, puis la seconde je suis exactement comme Jessie : surexcitée, débordante d’énergie mais terriblement inquiète.J’ai eu tort, j’ai fini la saison, ravie, avec un égo regonflé, prêt à tout affronter. Ou presque.

V comme vacances

Début juillet : bientôt les congés payés!

On sent déjà l’odeur du monoï et du rosé bien frais, on croit même sentir le sable chaud nous chatouiller les mollets.

Les kermesses sont terminées, le bac a été décroché, et les programmes télé ont tous été remplacés par d’autres (encore plus médiocres). Aucun doute : la période estivale est officiellement ouverte !

Sur les réseaux sociaux, difficile d’échapper aux nombreux post de nos « amis » qui lancent le décompte avec leur « J -»  quand certains plus généreux (ou très mégalo) nous font vivre heure par heure leur voyage « embarquement » « avion posé »  « pause pipi chez Flunch. Dernière étape avant le sable » avec à chaque fois les émoticônes adaptés au propos ; certains privilégieront les visuels pour nous informer. Nous deviendrons ainsi incollables sur la météo : de Tunis à Sydney en passant par la Grande Motte et Berk nous connaitrons le temps qu’il y fait grâce aux nombreuses captures d’écran de l’appli météo. Certains, plus minimalistes, se contenteront de poster sans commentaire une photo de leurs pieds devant une piscine ou un Mojito, nouvel emblème post moderne des vacances, de la farniente !

Alors on le clame, on le post, on le twitte : ce sont les vacaaaaances comme le chantait hier Lorie quand elle nous rappelait à l’envi que c’était le Week-end, yeah, yeah ».

Les vacances donc. La libération, la fin de l’aliénation pour les travailleurs en cols bleus ou blancs.

En juillet, les travailleurs de droite sont, une fois n’est pas coutume, reconnaissants de la lutte menée pour instaurer ce droit aux congés payés.

En juillet et août, tous les travailleurs deviennent camarades.

Qu’on parte ou pas, les vacances sont nécessaires. En faisant un break, le corps et l’esprit se reposent. Et puis les « grandes vacances » représentent un cycle. Un de plus qui permet de fractionner l’année. 

Mais au chômage les cycles disparaissent progressivement. On garde certains repères : la rentrée scolaire en septembre, le nouvel an en janvier, les œufs et le chocolat à Pâques, le tour de France début juillet. Entre ces quatre échéances, le chômeur n’a plus vraiment de repères, hebdomadaire surtout. Semaine / week end ne signifient plus grand chose.

C’est la conséquence chrono-biologique du chômage, le deuxième effet Kisscool.

Certains se plaisent d’ailleurs à nous le rappeler « mais toi tu es tous les jours en vacances, hein ? Ah ah ah ! »

Avec ce rire gras et vulgaire, l’idiot du village n’a pas vraiment tort. Ce qu’il ignore en revanche c’est l’effet dévastateur généré par ce repos forcé et subi. Pour nous, vacanciers à durée indéterminée, c’est comme si nous étions toujours en mode jour, comme si la nuit avait disparu ou plutôt l’inverse.

Bref on est déréglé. Seuls peut-être les cycles menstruels permettront aux chômeuses de garder certains repères !

Déréglés, nous trouverons notre salut en nous calant sur le rythme des autres : ceux qui travaillent et nous rappellent sans cesse qu’ils sont fa-ti-gués, é-pui-sés de cette année, avec toutes ses réunions, ses charrettes, ses compét’, ect… 

On n’ose pas leur dire, par pudeur et culpabilité, que nous aussi on est cra-mé !

Fa-ti-gué, é-pui-sé de cette année a envoyer des candidatures, la plupart restées sans réponse, à tenter d’interpréter les refus et les silences qui vous rongent, a networker, a se déguiser, à s’abaisser, à ruminer, à se remettre en cause, à s’auto évaluer…

L’introspection est une activité très chronophage et épuisante car elle se pratique le jour mais surtout la nuit.

Alors peut-être avons-nous bien mérité, nous aussi, nos vacances.

Ne serait-ce que pour avoir, le temps de quelques semaines, les mêmes repères que les autres et ne plus se sentir ainsi décalé(e).

T comme Temps

Au chômage la relation au temps change radicalement.
Rien a voir avec la météo ! Non au chômage le temps est de toute façon toujours maussade.
Non je veux parler du Temps, celui qui passe, défile et nous rattrape.
Mais surtout du temps libre … Celui après lequel tout le monde semble vouloir courir. 
Ce temps libre qui fait tant rêver, parfois fantasmer, ce même temps peut pourtant effrayer, angoisser et nous faire glisser progressivement, subrepticement dans l’abîme quand on est au chômage.

Mais avant de poursuivre, une redéfinition, ou plutôt une re-contextualisation s’impose.
Le temps libre choisi, anticipé, programmé, limité cela s’appelle des VA-CANCES : payés ou sabbatiques, ces congés sont désirés, et très souvent source de plaisir. 
En revanche, le temps libre imposé, illimité, est quant a lui subi et source de ruminations. Le temps libre devient paradoxalement aliénant.

Cette petite explication me semblait capitale pour permettre une meilleure perception du temps libre selon qu’on est actif ou au chômage.

Combien de fois ai-je entendu ces phrases :
« Tu as de la chance, Moi si j’avais du temps JE :
ferais du sport, 
– me mettrais à l’anglais,
– ferais de la couture
– irais voir plein d’expo,
– ferais des formations
– serais bénévole
– apprendrais la zumba
– cuisinerais tout bio
Oh lala si j’étais à ta place, tu ne vas pas me croire, je n’aurais même plus une minute à moi »

Non, en effet, je ne te crois pas.

Le temps libre serait donc seulement des heures à combler, un sac vide à remplir …
Tous, amis, ex-collègues, même mon mari semblent avoir LA solution : m’O-CCU-PER !! Pourquoi ne pas faire du bridge et des cup’cakes c’est tellement tendance!! 
Occuper, combler, courir … donc. 
Et finalement, peut être le fuir ce temps, voilà donc leurs conseils pour m’aider ?
M’aider ? Sans le savoir ils m’enfoncent, m’accablent, m’enivrent avec tous leurs
« y’a-qu’a-tu-devrais » et me renvoient une image nonchalante. Ils arrivent même à m’en persuader… c’est vrai je devrais me bouger, faire plein de trucs, être hyper active, être Pro-Du-Ctive !!

Mais ce n’est pas si simple. D’abord être au chômage implique la recherche d’un nouvel emploi et des heures à rédiger des lettres de motivation, à refaire des CV, contacter son réseau (cf R comme Réseau), se faire de nouveaux contacts, aller à des vrais-faux entretiens (cf E comme Entretien). 
Espérer/déprimer/de nouveau espérer/redéprimer/être déçue/pleurer/ se persuader qu’on est toujours capable/renforcer son ego/se valoriser tout en acceptant de bifurquer/ trouver de nouvelles idées (cf I comme idée) de reconversion/
Fatiguant non ? Mais surtout très accaparant. Ben oui ce chaud-froid permanent ce sont des émotions et les digérer vous allez rire, ça prend beaucoup de temps, cela empiète même sur son temps libre : comprendre, analyser, se remettre en cause … Avec tout ça, vous croyez vraiment que j’ai le temps d’aller à des expo et faire de la zumba ? Non sérieusement !!

Ces rendez-vous avec soi-même sans pouvoir annuler, ça prend un temps fou…. Parfois je n’ai même plus le temps !

Et puis qui dit temps libre ne signifie pas pour autant envie et désir (cf D comme Désir)! Faut être au top pour vouloir bouger ses fesses sur des rythmes brésiliens quand dedans on est plutôt en mode fado… faut avoir envie, même plus, il faut avoir l’envie d’avoir envie comme chantait Johnny.

Le temps libre donc … Un concept grisant au mois d’août sur une plage de sables blancs, mais beaucoup moins sympa en plein mois de novembre, avec des indemnités qui fondent comme neige au soleil.
« Vouloir du temps pour soi »? Je vous invite tous à prendre cette expression au pied de la lettre. Mais attention vous risqueriez de déchanter, vous pourriez même être débordé.
L’introspection, ca prend du temps !

 

F comme Famille

Victime collatérale de mon chômage, mes proches subissent directement et indirectement les conséquences de ma périlleuse quête d’emploi :

–       ma mauvaise humeur quasi chronique, au point même de devenir l’un de mes nouveaux traits de caractère,

–       mes pseudos certitudes rabâchées sur les raisons de mes échecs,

–       mon introspection qui se confond parfois avec un certain nombrilisme (Cf N comme Nombrilisme )

–       ma prise de poids et mes cheveux gras.

Tout. Ma famille partage tout avec moi. Sauf peut être une seule chose : mon exceptionnelle bonne humeur. Rare et précieuse, je la réserve aux autres, bienveillants ou malveillants, auprès de qui je mets un point d’honneur à entretenir mon capital sympathie.

Pour ma famille, je ne fais aucun effort puisque tout est acquis depuis maintenant plus de 35 ans.

Je devrais pourtant les cajoler, les choyer, les préserver ne serait-ce que par reconnaissance car au-delà de leur patience et leur soutien, la plupart de mes proches ont contribué à mes indemnités. Mais rien à faire, je projette sur eux mes frustations, mes colères, mes angoisses en prenant toujours un soin particulier à ne jamais leur faire partager mes joies et mes espoirs … lesquels pourraient m’ôter le monopole de la colère.

N’y voyez aucun acharnement ni désamour pour eux mais sans collègue sur qui déverser ma haine je suis bien forcée de composer avec le seul public dont je dispose : ma famille, ma seule prise, parfois même ma seule cible.

Tout devient alors prétexte pour les faire culpabiliser sur ce qu’ils auraient dû faire ou être pour empêcher mon long séjour à Pôle emploi.

– A ma mère, je lui reproche … tout ! Et plus particulièrement son manque de soutienau spectacle de fin d’année quand j’étais en CM2, celui pour lequel j’avais imaginé la chorégraphie avec deux copines assez stupides pour me suivre dans cette représentation ridicule … Si seulement elle m’avait davantage renforcée narcissiquement tout aurait pu être différent. Une carrière se joue parfois à quelques détails près, si si …

– A ma sœur aînée, je lui reproche d’être la cadette et de m’avoir ainsi volé le premier rôle. J’ai lu beaucoup de théories socio-psycho-anthropologiques sur les traumatismes du cadet, et c’est fou comme on sous estime les conséquences sur l’affirmation de soi, si si …

– A mes défunts grands-parents, je leur reproche de m’avoir trop aimée, trop protégée de tout, surtout de moi même. C’est sans doute aussi de leur faute si je n’ai pas su être auto entrepreneur ni même entrepreneur tout court.

– A mon mari, je lui reproche d’être hyper actif au point de m’avoir fait deux enfants, et ce quasiment la même année et de me priver ainsi toute perspective de faire une belle et grande carrière !

– Enfin, à mes jeunes enfants, je leur reproche de sortir de l’école si tôt, trop tôt, pile au moment où me vient l’envie soudaine de rédiger mes lettres de motivation et d’entretenir mon réseau primaire, secondaire, tertiaire et plus… (Cf R comme réseau)

Oui tout est finalement de leur faute.

Tous mes proches qui me soutiennent,

Tous mes proches qui m’enveloppent …

Tous mes proches qui ne cessent de m’encourager…

…. Heureusement qu’ils sont là !